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Passoire

LA BOQUETERIE

Extrait du tome 5 de  "Statistique monumentale du Calvados" Le Pré d'Auge, page 374

Arcisse de Caumont

 Ce hameau, que traverse la route impériale de Paris à Cherbourg, offrait, il y a quelques années, aux regards du voyageur une maison de modeste apparence, composée d'un simple rez-de-chaussée et d'un grenier. La façade de cette habitation, qui était désignée sous le nom de Maison de faïence, était revêtue de carreaux en terre cuite émaillée provenant de l'ancienne fabrique du Prédauge. Ces carreaux, qui occupaient l'intervalle compris entre les colombages, appartenaient à six ou sept variétés : les uns étaient à palmes (quatre composaient une rosace); d'autres offraient des fleurs avec une large bordure chinée ( bleu et blanc ) ; sur l'un de ces carreaux se dessinait une croix en sautoir, etc., etc.

Tous ces carreaux dataient de la fin du XVIIè siècle. Ils provenaient, d'après les renseignements fournis par un vieillard de la contrée, d'un four qui ne s'est éteint que vers la fin du règne de Louis XV.

 

Le hameau de la Boqueterie, appelé dans les anciens titres la Boquetière, fait partie de la commune du Prédauge, qui était renommée pour ses poteries.

Le vieillard dont nous avons parlé possédait un plat émaillé, qui était une imitation grossière des anciennes faïences de Bernard de Palissy.  Nous avons vu, dans une ferme située à la Pommeraye (aujourd'hui réunie à la commune St-Désir de Lisieux), un autre plat provenant de la même fabrique, mais d'une exécution tellement soignée qu'on aurait pu très bien le prendre pour un vrai Palissy. Ce plat, dont l'émail est parfaitement conservé, représente Vénus sortant du bain. La déesse, étendue dans une espèce de baignoire nattée, garnie de feuilles de vigne, est entourée d'Amours. L'un de ces Amours lui tient les pieds ; un autre lui présente une coupe contenant une liqueur bienfaisante. Plusieurs offrent à la déesse des raisins. Une ceinture de marguerites (Bellis perennis) entoure le plat, dont les bords sont festonnés.

Aux XVIè et XVIIè siècles, le Prédauge était le centre d'une fabrique importante de poteries, dont les produits remarquables étaient recherchés dans toute la Normandie. Tout le monde connaît ces brillants épis, en terre cuite émaillée, qui couronnaient le faîte de nos manoirs et les lucarnes de nos maisons bourgeoises. Ces épis rivalisaient, par l'originalité de la composition et l'éclat du coloris, avec les magnifiques faïences de Bernard Palissy. Gabriel Dumoulin, curé de Menneval, les comparait, dans son enthousiasme, aux produits du même genre de l'industrieuse Venise, cette ancienne reine de l'Adriatique : « On fait à Manerbe, près de Lisieux (commune voisine du Prédauge, des vaisselles « de terre qui ne cèdent en beauté et en artifice à celles qu'on nous apporte de Venise. » L'opinion de l'auteur de l'Histoire de Normandie se trouve corroborée par les lignes suivantes, de M. Pottier, conservateur de la bibliothèque et du musée d'antiquités de Rouen, membre de l'Institut des provinces : « Tout plat décoré dans le genre de Palissy, fût-il digne par sa finesse et sa réussite de passer pour une des œuvres excellentes de ce maître, s'il a été rencontré dans notre contrée avant tout déplacement, doit être suspect au premier chef d'être un produit de la fabrique lexovienne. Les artistes, ajoute ce savant, qui créèrent et exécutèrent ces épis avaient certes assez de talent et d'habileté pour imiter, même à s'y méprendre, les œuvres du maître Saintongeois, et pour en inventer au besoin de nouvelles ».

L'un des plus beaux épis sortis de la fabrique du Prédauge couronnait l'ancien manoir de la Vigannerie, à Pontfol (Calvados), et il a été figuré dans l'article consacré à cette paroisse (tome IV de la Statistique).

Un amortissement dans le même genre surmonte le colombier d'un manoir situé près de Livarot.
 

Tous ces épis, dont la décoration était très variée, se composaient de trois parties :

1) D'une base offrant trois faces. Les deux faces antérieures étaient décorées d'une jolie tête d'ange en haut-relief, dont le cou était muni d'une large collerette. La partie postérieure, qui s'adaptait à la croupe d'un toit ou à celle d'une lucarne, était fendue ;

2) D'un vase, de forme ovoïde, dont la panse était ornée de têtes d'anges, reliées entr'elles par des draperies alternant souvent avec des têtes de bélier. Du goulot du vase sortait, en s'épanouissant, un gracieux bouquet, composé de fleurs et de fruits du pays, parmi lesquels on distinguait le lis de nos jardins (Lilium candidum), des poires et des pommes, couvertes d'un brillant incarnat ;

3) D'un pigeon ou d'un pélican, posé sur une boule que supporte un léger pédicule.

 

Un grand nombre de vases formant, comme nous venons de le dire, la partie intermédiaire de l'épi, présentaient une double courbe; la partie inférieure étant convexe et la partie supérieure concave. Quelques-uns affectaient la forme d'une poire renversée.

Les couleurs dominantes de la couverte métallique étaient le blanc, le jaune, le vert, le bleu foncé, le violet et le brun. Les épis émaillés furent remplacés, au XVIIIè siècle, par des amortissements simplement vernis au plomb. Par leur composition moins riche et moins élégante et leur exécution grossière, ces nouveaux épis annonçaient une époque de décadence ; ils n'étaient pas cependant dépourvus d'art. Leur forme se rapprochait de celle des épis émaillés que nous avons décrits. La base, décorée de mascarons ou d'animaux fantastiques, servait de support à un vase à plusieurs anses, surmonté d'un pigeon.

Quelques-uns de ces amortissements représentaient de petits personnages tirant de l'arc.

C'est à cette époque de décadence que remontent ces nombreuses fontaines-lavabo, émaillées au plomb, qui constituaient une branche importante de commerce. Ces fontaines, dont la panse est ordinairement couverte de fleurs de lis en relief, sont garnies sur les côtés d'anses contournées.

Un pigeon, posé sur une boule, forme l'amortissement. L'une de ces pièces est signée : Vincent du Prédauge. Nous avons retrouvé ce nom sur un encrier en terre cuite, de la même époque.

La terre employée par les potiers du Prédauge, pour la fabrication de leurs vases, est une argile plastique supérieure à la craie, qui a été signalée dans la Topographie géognostique du Calvados.

La fabrique du Prédauge, aujourd'hui bien dégénérée, comptait encore, au commencement de ce siècle, une vingtaine de fours. Le nombre actuel des potiers qui façonnent ces vases grossiers que nous voyons exposés sur nos marchés est réduit à huit.

M. Morière, professeur à la Faculté des sciences de Caen, membre de l'Institut des provinces, a publié, en 1850, dans l'Annuaire normand, une notice intéressante sur l'industrie potière dans le département du Calvados.

Cette industrie, toute locale, remonte à une haute antiquité. Les quatre beaux vases funéraires en terre cuite émaillée, d'un blanc-jaunâtre, découverts à Lisieux en 1861, et dont l'origine gallo-romaine ne saurait être contestée, sont évidemment des produits de la fabrique lexovienne, ainsi que les nombreux fragments d'amphores, et autres vases à usage domestique, retirés de la rivière qui traverse la ville.

Parmi les nombreux fragments de cette belle poterie rouge en terre samienne, dite sigillée, que les Romains faisaient venir de très loin et que nous avons également recueillis, se trouvent plusieurs marques ou estampilles de potiers gallo-romains. Sur l'un de ces fragmente que nous avons déjà signalé, on lit le LISOVII (ensis; le nom du potier manque) indiquant le nom de la cité ou de la contrée où ce beau vase a été fabriqué.

Au Moyen-Âge, la fabrique lexovienne jouissait encore d'une certaine célébrité. Nous possédons un fragment bien conservé d'une petite patère en terre cuite, d'un blanc grisâtre, qui a gardé sa couverte métallique (oxyde de plomb). Cette petite patère, que nous faisons remonter au XIIIè siècle, est décorée d'étoiles et entourée d'une légende religieuse en caractères gothiques du temps qui commence par ces mots : MATER DEI... indiquant sa provenance ; elle était placée dans une église et servait au culte. Nous pourrions signaler encore quelques curieux fragments de poteries, offrant une pâte identique, mais d'une époque postérieure (XVè siècle). L'un de ces fragments, dont le vernis est presque entièrement disparu, est couvert de lettres gothiques de grande dimension.

Mais l'époque la plus brillante de cette industrie dans notre contrée était, comme nous l'avons dit, le XVIè et le XVIIè siècle. C'est à cette dernière époque qu'il faut reporter l'exécution des statues en terre cuite émaillée qui décoraient le fronton du pavillon central du principal corps-de- logis de l'ancien palais épiscopal, donnant sur la terrasse, ainsi que les nombreuses statues qui ornaient les magnifiques jardins au milieu desquels s'élevait le château des Loges, résidence d'été des derniers évêques de Lisieux, située à peu de distance de Lisieux, au midi.

 

M. Raymond Bordeaux, dans une séance tenue à Bernay au mois de juillet 1868, est le premier qui ait appelé l'attention des savants sur l'ancienne fabrique de poterie de Manerbe et du Prédauge, à laquelle la Géographie Blavienne a consacré quelques lignes d'éloges. Les brocanteurs, dont le nombre s'est considérablement augmenté de nos jours, faisaient déjà passer les figurines et les vases du Prédauge pour des faïences.

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