Les relations Etat-Eglise du 18e au 20e siècle
Révolution française
Refusant de prêter serment à la constitution civile du clergé, l'abbé Lechevrel du Pré-d'Auge entre dans la clandestinité...
De la Révolution à 1905, des rapports conflictuels entre Etat et Eglise. Tension bien réelle lors de l'inventaire des biens de l'église du Pré-d'Auge.
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L'art de la terre à Manerbe et au Pré-d'Auge
A PROPOS de l’Exposition des Arts appliqués de Caen
_________________________________
par Etienne Deville, conservateur du Musée et de la Bibliothèque de Lisieux
13 octobre 1922
Source : bibliothèque électronique de Lisieux
L’Exposition organisée à Caen par les soins de la Région économique et le Comité régional des arts appliqués de Basse-Normandie, a permis de constater que la céramique décorative est encore en honneur dans notre province.Les tuileries normandes de Caen, du Maizeret et de Bavent, les fabriques de Subles, de Noron et de Bayeux ont exhibé des pièces très intéressantes et très artistiques, rappelant les plus belles productions de l’âge d’or de la céramique normande.
Emaux polychromes à grand feu, épis, frises, métopes, tuiles, poinçons, abouts de poutre, statuettes, animaux, vases à reflets métalliques, grès délicatement ouvrés ont, tour à tour, excité la curiosité des visiteurs et des gens de goût. Bien peu se sont doutés que toutes ces pièces aux couleurs chatoyantes n’étaient qu’une réminiscence d’un art qui fut jadis très prospère en notre région, alors que des fours de Manerbe et du Pré-d'’Auge sortaient ces superbes épis, ces jolis pavés et cette vaisselle de terre qui provoquait l’admiration d’un vieil historien normand, Gabriel Dumoulin, qui en parlait ainsi en 1631 : « On fait en Normandie de la poterie en beaucoup de lieux et à Manerbe, près de Lisieux, des vaisselles de terre qui ne cèdent en beauté et en artifices à celles qu’on nous apporte de Venise ». En 1667, Du Val pouvait encore écrire : « La plus délicieuse contrée de la Normandie, où l’on fait de la vaisselle de terre plus belle qu’ailleurs ».
L’histoire de la céramique de Manerbe et du Pré-d’Auge est très peu connue. Les rares auteurs qui lui ont consacré quelques lignes, l’ont fait avec une brièveté et un laconisme que beaucoup d’érudits ont imité.
Après Rever, étudiant en 1826 les pavés émaillés de Calleville (1), Raymond Bordeaux (2) est le premier à signaler l’intérêt de cette fabrication dont on ne s’occupa guère dans la première moitié du XIXe siècle. En 1885, M. de Mély essaya de déterminer l’origine de la majolique française dans un curieux article de la Gazette des Beaux-Arts (3). Plus tard, en 1902 et 1904, un érudit avocat de Pont-Audemer, A. Montier, étudia les pavés du Pré-d’Auge et de Lisieux et les épis de faîtage (4). Ces derniers travaux ne sont surtout que des descriptions d’oeuvres, suivies d’un essai de classement.
Les origines de la céramique à Manerbe et au Pré-d’Auge sont très anciennes et semblent bien devoir être reportées à l’époque gallo-romaine. Des fouilles pratiquées à divers endroits de ces deux villages ont amené la découverte de fragments de vases d’une antiquité indiscutable ; malheureusement on ne possède aucun document écrit pour ces périodes lointaines. Il nous faut arriver au Moyen-Âge pour rencontrer quelques textes importants sur ce sujet.
M. de Mély a écrit que l’industrie de la poterie se serait implantée à Manerbe vers 1375, après la fermeture des ateliers du Molay. Je ne partage pas tout à fait l’opinion de mon savant compatriote et j’estime au contraire que l’art de terre n’a pas cessé d’être en honneur à Manerbe et au Pré-d’Auge depuis l’occupation romaine, certains pavements sembleraient confirmer cette opinion. Nous savons notamment qu’en 1361, Robinet Guernin, potier de l’évêque de Lisieux, vend à Robert Delamare son titre de potier de l’évêque à cause duquel il jouissait d’un singulier prestige : celui de vendre seul de la poterie dans l’étendue de la ville et banlieue de Lisieux, excepté pendant la foire Saint-Ursin, qui commençait à la « vigile de ladite feste à l’heure de None et tout le jour d’icelle à heure de soleil coussant ». En 1418, Guillaume Coquerel était pourvu de cet office. En échange de ce privilège, ils étaient tenus de fournir la vaisselle de terre de la salle à manger du prélat le jour de son entrée dans sa ville épiscopale.
Il est regrettable que le cartulaire de l’abbaye du Val-Richer ait été détruit en 1793, il nous eût certainement fourni de précieuses indications, surtout pour le XIIIe siècle.
Pendant les XIVe et XVe siècles, ce fut principalement la fabrication du pavé figuré et de la tuile qui alimenta les fours du Pré-d’Auge jusqu’au moment où la fabrication savante fit place à l’industrie de la poterie.
A l’époque de la Renaissance, une influence étrangère se manifeste dans les productions. Il est probable qu’à la suite des expéditions au-delà les Alpes, des artistes furent ramenés par de grands seigneurs et s’établirent dans nos contrées. La technique changea alors, les motifs décoratifs ne sont plus les mêmes, et, certains rinceaux, que j’ai vus dans les restes d’anciens vitraux de l’église de Manerbe, dont le choeur fut reconstruit en style ogival, en 1513-1514, trahissent une influence nettement italienne.
Sans vouloir toucher à la grande place que Bernard Palissy occupe à si bon droit, sans chercher à lui enlever aucun mérite, il faut bien reconnaître qu’au milieu du XVIe siècle, lorsque les échos des succès du grand artiste parvinrent aux ateliers de Manerbe et du Pré-d’Auge, nos artisans normands s’inspirèrent résolument du maître. Leurs productions sont classées par les historiens de la céramique - qui se sont montrés bien peu curieux dans la circonstance, - sous l’étiquette « suite de Palissy ». Bon nombre de ces pièces ont même été vendues comme des oeuvres du célèbre potier.
« Ce qui distingue au premier coup d’oeil les ouvrages du Pré-d’Auge de ceux de Palissy, c’est que les émaux sont plus froids et rosés avec sècheresse partout où l’on rencontre du jaspé, les taches en sont petites, arrêtées, non parfondues ». Cette citation, que j’emprunte à Jacquemart, ne doit pas être prise à la lettre, et plus d’une pièce du Pré d’Auge, par le fini de son dessin, la richesse de sa couleur et de son émail peut être mise en parallèle avec les « rustiques figulines ».
Avec le XVIIe siècle, la fabrication des épis disparaissant, nos potiers s’attachent surtout à la fabrication du pavé, du pavé Pré-d’Auge et du pavé de Lisieux, dont je parlerai plus loin. Elle se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle et la décadence commença à cette époque. C’est alors que sortirent ces amortisements vernis au plomb qui remplacèrent les épis émaillés et dont la composition, moins élégante et moins savante, n’est cependant pas dépourvue d’art. C’est de cette époque que datent ces nombreuses fontaines-lavabos, à la glaçure ou vernis en plomb, procédé connu des potiers gallo-romains. Il en est de fort belles avec des ornements en reliefs et j’en sais une portant la signature de « Jacques Vatier du Pré-d’Auge 1771 ».
Les archives du tabellionage de Lisieux, mises à ma disposition par Me Cailliau, notaire, que je tiens à remercier de son obligeance, m’ont permis de retrouver un certain nombre de noms de potiers, mais peu de renseignements sur leurs oeuvres. Ce sont des actes de la vie courante où les potiers interviennent pour opérer des transactions, faire des achats ou des ventes, des partages ou des traités de mariage.
Très souvent, le tabellion omet d’indiquer la profession des intéressés, en sorte que beaucoup de noms échappent, surtout pour les périodes anciennes.
Deux noms dominent surtout dans l’histoire de la céramique de Manerbe et du Pré-d’Auge, les Bocage et les Vattier. Un Colin Bocage apparaît en 1499 dans un partage de biens, ce qui prouve que cette famille était établie au Pré- d’Auge depuis déjà longtemps. Un autre, du même nom, fournit, en 1527, de « la brique et le pavey pour la maison de nouveau édifiée à la fabrique Saint-Pierre » de Lisieux, et plus tard, le 27 août 1562, Thomas Bocage vend du « pavé figuré pour paver devant le maistre autel » de la cathédrale, à raison de 65 sols le mille. En 1576, Jacques, fils Thomas, fait une nouvelle « livreson de six centz de pavé figuré pour paver à l’église près la tombe de Mons. de la Houblonnyère ». Cette famille s’est perpétuée au Pré-d’Auge jusqu’à nos jours. De même les Vattier, dont le premier que je connaisse est un certain Robin Vattier qui vend deux pièces de terre en 1501. Cette famille prit une telle importance par la suite que leur nom est demeuré à un des hameaux du Pré d’Auge.
Je citerai encore Robert Bence « potier de la paroisse de Manerbe », cité dans des actes de 1537 et 1564 ; Pierre Castelain, « du mestier de potier de terre », du même lieu, 1528 et 1540 ; Pierre Coquerel, 1534 ; Guillaume Huchon et Robin Moullin, « thuilliers de Manerbe, 1554 ; Charles Vitet, 1556 ; Jehan Logres, « tuilier de la tuilerye du Val-Richer », 1571 ; Guillaume Fiquet, 1752 et Antoine Gosset, 1765.
A Manerbe, le nombre des potiers devait être élevé au milieu du XVIe siècle puisque dans un acte du 25 mai 1534, se trouve, comme abornement d’une propriété, la « rue des Potiers ».
Au commencement du XIXe siècle, il y avait encore au Pré-d’Auge 42 potiers et une trentaine de noms figurent encore dans le recensement de 1816. A partir de 1880, les fours s’éteignirent à Manerbe et au Pré-d’Auge et, actuellement, il ne reste plus trace de ces établissements qui eurent pourtant leur heure de célébrité.
Les débuts de ces ateliers furent la fabrication exclusive de la tuile et du pavé. La tuile, de grand moule et de petit moule, était vernissée par un bout, de couleur jaune, rouge, verte ou brune, permettant sur les toits d’élégantes combinaisons géométriques. Les premiers pavés furent, non pas émaillés, mais vernissés, les dessins faits d’une légère engobe de terre blanche sont incrustés dans la terre rouge suivant l’ancien procédé de sigillation employé par les Babyloniens pour leurs briques, et recouverts d’une couche vitreuse incolore à laquelle certains oxydes métalliques ont donné parfois une couleur verte ou jaune. Cette fabrication se développa rapidement ; les paysans aisés et les bourgeois ne se contentant plus de l’aire en terre battue pour leurs demeures, ils les firent carreler et recherchèrent dès lors la variété dans la décoration de ces pavages.
Tantôt, c’est un carreau à fond rouge avec décor d’engobe blanche ; tantôt à fond blanc et engobe laissant en réserve le décor qui apparaît de la couleur rouge de la terre.
En examinant une série complète de pavés du Pré-d’Auge, on peut suivre la marche du goût public, chaque siècle ayant pour ainsi dire, laissé l’empreinte de son passage par ces modestes carreaux de terre cuite.
Au XVe siècle, l’influence gothique se fait encore sentir et la fleur de lys règne en souveraine avec les marguerites et les fleurettes.
Au XVIe siècle apparaissent les palmettes, les combinaisons variées de rinceaux et de ferronnerie. Vers la fin du règne de Louis XIV, l’influence de Le Brun et de Boule s’exerce. On voit alors se produire une foule de combinaisons de lignes droites ou courbes, de rinceaux, de palmettes, de feuilles refendues, de volutes, de noeuds, d’entrelacs et d’enroulements.
Vers le milieu du XVIIe siècle, un potier du Pré-d’Auge qui avait travaillé à Rouen, Joachim Vattier, imagina de fabriquer des pavés de faïence à dessins symétriques et revêtus du plus bel émail blanc, bleu, jaune, vert ou brun. On les connaissait sous le nom de « pavés Joachim » ou « pavés de Lisieux ». Leur vogue fut telle que non seulement les châteaux et les manoirs normands, mais encore le Trianon de porcelaine à Versailles, détruit en 1685, furent revêtus de ces brillants carrelages.
Quelques-uns de ces pavés portent, au-dessous, une croix à quatre feuilles estampée dans la pâte, c’est la marque de Joachim Vattier, qui semble l’avoir réservée aux pavés de choix.
En 1770, un sieur Dumont établit à Rouen une fabrique de pavés de Lisieux qui fonctionna jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Durant les Xve et XVIe siècles, les fours de Manerbe et du Pré-d’Auge approvisionnèrent les châteaux et les manoirs de ces beaux épis de faîtage dont la majestueuse élégance complétait si bien la décoration. Les artisans qui modelèrent ces pièces superbes étaient de véritables artistes et nos modernes tuileries font bien de s’inspirer de ces modèles que les collectionneurs et les musées recherchent aujourd’hui avec empressement.
Cette effervescence artistique diminua bientôt ; la mode des épis passa et, à la fin du XVIe siècle, ils furent remplacés par des motifs décoratifs répondant mieux au goût du jour.
L’activité des potiers ne s’en tenait pas là, ils modelaient aussi des statues religieuses et profanes, le Christ de l’église du Pré-d’Auge, le groupe de Sainte Anne et de la Vierge dans l’église de Saint-Ouen-le-Pin et les superbes décorations du château des Loges et de ses jardins, résidence d’été des anciens évêques de Lisieux. Comment ne pas citer aussi ces plats et ces soupières à décors en relief à l’instar des oeuvres de Palissy. Un érudit lexovien, Arthème Pannier, en a décrit un certain nombre que l’on rencontrait encore dans les fermes aux environs de 1860. J’ai recueilli, pour le musée de Lisieux, des fragments de vaisselle de terre dont la faïence actuelle n’approche pas comme légèreté et finesse. Ces fragments, trouvés à Manerbe, au village de la Closetterie, confirment pleinement l’opinion de Gabriel Dumoulin.
Aujourd’hui, on ne trouve plus rien de cette brillante époque. Seules des oeuvres de décadence, des objets usuels : bénitiers, fontaines, plats, poissonnières, soupières, bassinoires, passoires, bouteilles, cruches et vases divers, tous de couleur uniformément verte à reflets métalliques, se rencontrent encore chez les antiquaires et les brocanteurs de la région qui leur assignent une valeur assurément exagérée.
En 1879, MM. Tissot et Loutrel essayèrent vainement de faire revivre cette fabrication qui occupe une place importante dans l’histoire de la céramique ornementale. Il y aurait pourtant quelque chose à faire en ce sens, la matière première existant toujours à profusion dans le pays.
Puisque le goût a ramené l’usage des épis de faîtage, ne pourrait-on pas rallumer de nouveaux fours à Manerbe et au Pré-d’Auge et y ressusciter cet art de terre qui porta si loin la renommée de ces petites localités.
NOTES :
(1) Dans Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, 1826, p. 183.
(2) Dans Bulletin monumental, t. XIII, 1848, p.629.
(3) Les origines de la majolique française, dans Gazette des Beaux-Arts, 1885, p. 229-250.
(4) Notice sur les pavés du Pré-d’Auge et les pavés de Lisieux. Paris, 1902, in-8. Etude de céramique normande. Les épis du Pré-d’Auge et de Manerbe. Paris, 1904, in-8